La tente est un sanctuaire. La Dame à la licorne y fait une rencontre qui la transforme pour toujours.

 « Dans ce monde, mais plus de ce monde » Evangile de Jean

Le baptême du feu

L’histoire touche à sa fin. Arrivée à cette étape de la quête, il me devient difficile de témoigner de ce que la Dame essaie de nous transmettre car il me faut humblement reconnaître que, comme sa suivante, je suis moi-même encore en chemin. Avec le temps, j’ai appris à quel point les puissantes résistances qui empêchent l’âme de s’ouvrir pleinement à l’Esprit restent difficiles à lever. S’en remettre à cette force qui éveille et apaise mais qui le moment venu consume aussi tout notre être, demande un total renoncement. Même lorsque l’on aspire tel le Phénix à renaître, quelque chose en nous se refuse longtemps à mourir. Difficile de dissoudre notre égo, d’accepter de ne plus se croire maître de notre destinée. L’épreuve du feu place notre âme face à l’Esprit ; et avec lui, impossible de tricher. Lorsqu’il nous pénètre, tout est démasqué et les âmes trouvées trop légères ne peuvent en sortir indemnes. Elles sont brûlées. C’est pourquoi, comme toute personne suivant un chemin d’éveil, de plus en plus consciente de mon état d’être, je ne cherche pas à forcer la rencontre. J’ai choisi ce que les alchimistes nomment la voie humide ; moins rapide que la voie sèche, mais plus douce. Elle demande maintes distillations mais j’avance en confiance et me prépare lentement au baptême du feu qui vient, pour chacun, en son temps.

La tente de la rencontre

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La Dame à la licorne, A mon seul désir, vers 1500

Pour la première fois de l’histoire, un autre espace se laisse à voir. Une tente richement ornée se dresse au milieu de la scène. Sans mat central pour la soutenir, simplement amarrée à deux arbres, elle se présente malgré tout comme stable et royale, portée par une force indécelable. Comme dans la vue, la composition se resserre en un triangle formé par le lion, la licorne et la pointe du pavillon. C’est dans cette forme à l’image du feu de l’Esprit que la dernière épreuve de la Dame s’accomplit. La scène est solennelle. Jusqu’à présent, la présence du sacré avait toujours été suggérée ; ici, elle se dévoile.

La tente, lieu clos protégé de l’extérieur, incarne souvent un sanctuaire où le divin se manifeste. Dans la Bible – l’Exode, Dieu y rencontre Moise ; l’alchimiste et l’hermétiste prient devant elle pour que le grand œuvre se réalise. Elle est pour eux l’athanor dans lequel la transmutation peut seule s’accomplir. La tente offre un cadre à une gestation de nature sacrée; plusieurs signes ici nous le confirment. Pour les chrétiens, la couleur bleue, généralement associée à la Vierge-Marie, symbolise la fécondité spirituelle comme la grenade qui recouvre l’étoffe toute entière. Des flemmes d’or, emblème de l’Esprit-Saint, la pénètrent. A l’intérieur, seul l’or pur demeure. Il atteste qu’en ce lieu consacré, la Lumière opère. Comme nous le rappelle le dictionnaire des symboles, la tente « demeure de la Vacuité où la Dame se résorbe, après s’être dépouillée de ses métaux, est de la nature de l’Esprit, nu, clair, vide, sans ego ni dualité, hors du temps ».

La rencontre avec le feu de l’Esprit

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L’alchimiste devant la tente, L’oratoire et le laboratoire, l’amphithéâtre de la Sagesse éternelle, H. Khunrath, 1595 – wikimedia commons (domaine public)

La tente se présente comme la matrice de l’œuvre. Sa paroi interne, vide et immaculée, contraste avec l’opulence du monde extérieur. La Dame qui en sort régénérée s’est immergée en son sein. Elle a supporté le feu sacré qui l’a transfigurée.

La Bible nous parle de deux baptêmes. Il y a tout d’abord le baptême d’eau, tel celui donné par Jean le Baptiste à Jésus dans le fleuve du Jourdain. Il est le premier des trois sacrements de l’initiation chrétienne. Il incorpore le candidat à la communauté, le purifiant de ses péchés, et le prépare à suivre le chemin de Jésus-Christ. Puis, le baptême du feu qui, lors du miracle de la Pentecôte décrit dans les Actes des Apôtres, purifie et amorce la transformation de ceux qui reçoivent l’Esprit-Saint.

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Le caducée d’Hermès

L’Alchimie et l’hermétisme décrivent eux aussi un processus intérieur de résurrection qui s’opère par le feu. Le phénix et le caducée d’Hermès en sont les symboles les plus connus. Celui qui, tel le couple royal, accepte de mourir par le feu, renaît de ses cendres. Ayant réuni ses contraires, il se libère lorsque le feu descend par l’un des deux serpents, brulant tout ce qui résiste encore, et remonte par l’autre, transfigurant le corps tout entier. Alors l’homme vit, transmuté, rené en l’Esprit. Mais comme le vide de la tente nous le rappelle également, l’âme purifiée ne peut prétendre à la divinité que par le silence intérieur et la vacuité. Ce n’est que lorsque le prétendant est parvenu à un tel état qu’il peut s’abandonner, sans risque, au baptême du feu.