Dans cette scène, l’amour règne en maître. Il guide la Dame à la licorne, qui aspire au fin’amor.

«  Dame, si votre mérite ne vient à mon secours, je suis plus chétif qu’un roseau (…) Et toi, amour fidèle, qui me soutiens, et dont le devoir est de garder et de diriger les vrais amants, sois mon tuteur et mon garant auprès de la Dame qui me domine ainsi » Guiraud de Borneil – Anthologie des troubadours

Un amour courtois

La vie est succession de rencontres. Certaines nous marquent à jamais. Pendant près de dix ans, un homme m’inspira un désir d’amour très particulier. Comme il vivait à l’étranger, je ne le vis toutes ces années que rarement, pour le travail. Pourtant, dès notre première rencontre, j’eus le sentiment de le connaître depuis toujours. Il me fit ressentir un désir non pas charnel mais spirituel ; sa présence m’élevait toujours au meilleur de moi-même. Un soir de printemps, pourtant, l’histoire prit fin, s’ouvrant sur un amour bien plus grand encore. En m’incitant à changer de vie, il me plaça face à un choix. Suivre la voie de l’âme dans laquelle je venais de m’engager ou y renoncer pour accomplir une autre destinée. Malgré tout l’amour que je lui portais, je sus pourtant intérieurement à quoi renoncer. Dans l’instant, le temps sembla se figer ; les gens et les choses autour de moi, s’arrêter. Je fus comme projetée, en conscience, dans une autre dimension. Le cœur pleinement ouvert, je fis l’expérience de l’omniprésence. Là, mon âme se sentit emplie d’un amour si grand et si pur que je ne saurais le décrire. Puis, tout reprit son cours. Nos chemins se séparèrent mais je sus, cette nuit là, que le désir d’amour est une clef qui ouvre à l’Amour véritable.

La Dame du fin’ amor

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Le goût (détails), vers 1500, La Dame à la licorne

Le regard doux et le gant ferme, la Dame donne à manger au perroquet de précieuses perles. Elle offre sans compter ce qu’elle a de plus cher sans rien demander en retour à l’animal, libre comme l’air. L’oiseau fortifié par son geste, s’apprête à prendre son envol. La Dame est courtoise, au sens du Moyen Age : l’amour et la sagesse guident chacun de ses actes.

Cette tenture nous parle d’amour courtois – du fin’amor, un art d’aimer qui imprègne la vie et la littérature du Moyen Age. Né à la fin du XIème siècle en terre d’Oc, le fin’amor (à l’époque la fin’amor) repose sur une quête d’amour pur, noble et parfait. La Dame, belle, sage et vertueuse inspire un désir d’amour absolu à son chevalier. Les épreuves auxquelles elle le soumet ennoblissent l’élu qui s’y adonne avec vaillance et persévérance. La Dame de la chevalerie courtoise n’est pas une femme à conquérir charnellement ; elle incarne sa ‘’Seigneurie’’, le symbole de l’âme pure qu’il aspire à servir. Les amants, sans être mariés ni même vivre ensemble, sont pourtant liés ; ils ne se sentent jamais séparés. Cet ‘’amour de loin’’ vécu dans le secret, nourrit et protège le pur désir des nobles cœurs. Chaque rencontre amène leurs corps à trembler et leurs âmes à vibrer un peu plus, devant la beauté de ce qu’ils ne peuvent saisir.

L’amour, clef de délivrance

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L’offrande du coeur (détail tapisserie), vers 1410 – wikimedia commons (domaine public)

Dans cette tapisserie, l’harmonie règne. Tous les êtres dialoguent au sein d’une nature généreuse. S’échangeant des regards et des petits gestes, tous semblent en amour. La scène se réfère au mythe de l’âge d’or – le paradis perdu. L’amour se présente comme la clef pour le retrouver.

Depuis l’Antiquité, l’amour se définit de trois manières différentes. Platon nous parle de l’eros – l’amour charnel ; Aristote de philia – l’amitié réciproque ; le nouveau Testament d’agapé – l’amour universel qui s’est vu transformé en caritas – l’amour charitable de son prochain. Mais, au Moyen Age, les fidèles de l’amour courtois, en proposent une autre vision. Le désir amoureux n’est pour eux ni une faiblesse comme dans l’Antiquité, ni un péché comme pour la chrétienté ; il est une voie d’accès à l’amour divin dont l’homme se ressouvient. L’amour, au sens courtois, se vit non pas comme une expérience d’appropriation de l’autre mais d’élévation de soi. Il amène en toute liberté à s’ouvrir et s’offrir. En s’offrant par amour sans rien demander en retour, l’Homme ouvre et purifie son cœur, permettant à l’âme de s’élever jusqu’à l’Amour véritable. Immergé dans cette force qui transforme son âme, il aime non plus Dieu, mais comme Dieu. Dès lors, comme le second commandement de l’évangile de Mathieu le proclame, il peut aussi vraiment « aimer son prochain comme lui même » car il comprend l’unité de toute chose.