La Dame à la licorne possède à présent l’œil du cœur. Elle connaît l’illumination.

«Voici mon secret. Il est très simple. On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux». Antoine de St Exupéry – Le Petit Prince

En quête de l’illumination

Il y a bien des années déjà, je vécus ma première grande expérience d’une autre dimension. Je fus un bref moment projetée dans un ailleurs, tout en restant consciente d’être là. Assise dans un taxi qui roulait en pleine nuit, j’eu la sensation de pouvoir être partout à la fois, percevant ce qui m’entourait d’une toute autre manière. J’y fus submergée par un sentiment d’amour et de bien être d’une force dépassant tout ce que j’avais pu connaître. Dès lors, je cherchai à parvenir à retrouver cet état de conscience si particulier que certains nomment l’éveil. De nature passionnée, j’aspirai à revivre des expériences spectaculaires qui me transporteraient pleinement. Je tentai la prière dans la nature et des lieux retirés, des exercices de méditation chez les bouddhistes tibétains et zen, me refusant néanmoins, malgré ce que j’avais pu voir pratiquer lors de mes nombreux voyages, les rituels chamaniques amenant à un état de transe. Mais rien n’y fit. Je finis par abandonner l’idée d’accéder à cette autre dimension par ma seule volonté, comprenant que la porte d’accès qui y mène ne s’ouvre pas de cette manière. Si la conscience peut basculer à tout moment dans un autre plan, ce n’est que peu à peu qu’elle commence à pouvoir y demeurer et voir vraiment.

L’œil du cœur

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La vue (détails), vers 1500, La Dame à la licorne

Dans la tapisserie de la vue, la Dame regarde ailleurs. Lion et licornes font de même. Les yeux se croisent ; tout se reflète, mais rien ne se fixe vraiment. Dans un jeu de regards tournants, héroïne, licorne et licorne naissante dans le miroir semblent accéder ensemble à une toute autre réalité. Elle apporte joie et sérénité à celles qui la contemplent sans pouvoir encore la saisir vraiment. A cette étape du voyage, tout nous amène à voir autrement, d’une manière qui ne nous est pas familière. La licorne soulève délicatement la robe et découvre ce qui jusqu’ici restait voilé. Le miroir fait apparaître ce qui semble, au premier regard, la face cachée de l’animal. Mais, en s’approchant, une lumière, encore peu visible, nous amène à y voir une autre vérité : une licorne naissante et toujours à moitié plongée dans l’obscurité.

Ces signes nous enseignent de manière symbolique. Avec son miroir, la Dame peut à présent voir une chose et son contraire simultanément ; percevoir ce qui vient de l’intérieur comme de l’extérieur ; ce qui vient d’en haut comme ce qui vient d’en bas. Sa conscience accède à la vision intérieure. Elle possède maintenant ce que de nombreux sages – tels Saint Paul ou Plotin – nomment l’œil du cœur ou, comme Platon, l’œil de l’âme: un œil et un cœur illuminés par la lumière solaire – symbole de la connaissance directe et intuitive. Cette force lumineuse pénètre par le miroir dans le monde lunaire et féminin de la Dame. Elle l’accueille, avec amour et dévotion.

La Dame illuminée

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La voie vers le Christ, frontispice livre 8, Theosophische Wercke, J. Boehme, 1682

La Dame est seule cette fois. Assise, le regard tourné vers l’intérieur, elle n’agit pas mais reçoit en conscience ce qui se présente à elle. Tout en étant là, elle semble absente ; retirée avec la licorne, dans un endroit qui demeure inaccessible à son fidèle compagnon, le lion. Elle vit, dans le silence, l’expérience de l’illumination.

L’illumination, dans le bouddhisme ou le christianisme, désigne un état de conscience supérieure qui ouvre à la connaissance. Mais notre temps n’est pas celui de l’éternité. Pour connaître en conscience ce que notre œil ne peut saisir, il faut en passer par un changement de plan. L’homme connaît trois dimensions – la largeur, la hauteur et la profondeur – par lesquelles il perçoit un espace limité dans un temps qui s’écoule linéairement. La conscience qui fait l’expérience de l’illumination entre elle dans une autre dimension; là où temps et distance n’existent pas: la 4ème dimension. Il éprouve une sensation nouvelle, celle de l’omniprésence. Cette dimension n’est pas lointaine; elle est là, accessible à tout moment même si elle reste invisible à nos yeux de chair. L’illumination recouvre des formes et des degrés différents. Elle peut se manifester brièvement, à un moment inattendu, nous emplissant tout entier d’un sentiment de bien être d’ordre ‘’mystique’’ ou extatique. Mais, pour qui suit un chemin d’éveil, elle se présente aussi comme une force qui se déverse lentement et amène à penser autrement. La Vérité se révèle selon notre pouvoir de compréhension et de réception. Comme le Christ dans l’Evangile des douze le rappelle, « l’Unique et Eternelle Vérité est exclusivement en Dieu, car personne ne sait ce que Dieu seul sait (…). Elle a beaucoup d’aspects ; les uns en voient un, les autres en voient un autre, et certains voient plus que d’autres, selon ce qui leur est donné».