La Dame à la licorne est jardinière. Telle une alchimiste, elle œuvre en connaissance.

« Comme Nature se complaint, et dit sa douleur et son plaint, à un sot souffleur, sophistique, qui n’use que d’art mécanique (…) Apprends, apprends à me connaître, avant que de te nommer maître. Suis-moi, qui suis mère nature, sans laquelle n’est créature. Qui ne peut être ni prendre essence, végéter, monter en croissance, ni avoir âme sensitive, sans ciel et l’élémentative » Jean Pérréal – Les remontrances de la Nature à l’Alchimiste errant (1515)

La femme aux 2 visages

Deux grands archétypes du féminin marquèrent mes jeunes années. Dans la sphère privée, ma mère incarna la Vierge Sainte ; dans la sphère publique, ma première patronne me mit face à la femme tentatrice et maléfique. Même si j’aspirais de tout cœur à ressembler à la première, le monde masculin du travail me fit rapidement comprendre à quel point agir selon ses valeurs serait difficile. Souhaitant, en entrant dans la vie active, poser des actes justes et purs, respectueux de l’autre autant que de moi-même, je finis pourtant par agir, un certain temps, tout autrement. C’est ainsi qu’en observant ce qui m’entourait, j’appris et qu’en m’observant moi-même, je compris. Deux modèles, deux forces m’habitaient et, tour à tour, m’attiraient tantôt vers le haut, tantôt vers le bas. Je demeurai écartelée entre désir de vérité, de justice pour tous et désirs de reconnaissance comme de plaisirs personnels. Malgré tous mes efforts, il me fallut admettre qu’ici-bas aucun absolu n’existait : le bien et le mal coexistaient. Mes illusions perdues, il m’appartenait à présent d’agir à chaque instant en connaissance.

Les dames jardinières

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L’odorat (détail), vers 1500, La Dame à la licorne

Les dames de l’île, en observant ce qui les entoure, ont appris à connaître la nature. Toutes deux œuvrent, dans cette scène, avec elle. Qu’elles ne sélectionnent que certaines fleurs ou les assemblent en couronne, il est clair qu’elles savent ce qu’elles font.

La femme, au Moyen Age, a la charge du jardin. A ce titre, quelque soit sa classe sociale, elle connaît la science des fleurs. En observant le cycle de la nature, les formes et les vertus des plantes, elle a appris à travailler avec elles. Les végétaux lui permettent non seulement de se connaître mais également de se soigner. Par la connaissance des simples – les plantes médicinales – la femme, à cette époque, guérit les corps. On citera pour l’exemple, la moniale Hildegarde von Bingen, considérée de nos jours comme la première phytothérapeute moderne.

Les dames sont jardinières. Ce terme désigne aussi l’alchimiste qui, pour atteindre son but, ne cesse de dialoguer avec la nature et de l’imiter. Elles pratiquent l’Alchimie que le médecin Paracelse, l’un des plus grands philosophes par le feu, définit comme « l’Art de séparer ce qui est utile de ce qui ne l’est pas en transformant ce qui est utile en sa matière ultime et en son essence ».

La Dame qui œuvre en connaissance

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L’odorat (détail), vers 1500 , La Dame à la licorne

La Dame tresse une couronne d’œillets rouges et blancs. Elle ne choisit qu’une variété de fleurs et les assemble d’une manière particulière. Elle transforme sa matière première pour ne retenir que son essence la plus pure.

Comme les alchimistes du Moyen Age qui pratiquent son Art, elle cherche, à sa manière, à extraire la quintessence de sa matière : le cinquième élément d’Aristote – l’éther. Pour les disciples d’Hermès, « ce qui est à l’extérieur est comme ce qui est à l’intérieur ». Selon cette pensée analogique, la Dame en œuvrant extérieurement, œuvre de même intérieurement, à sa propre transformation. Elle sait que coexistent, à l’extérieur comme à l’intérieur d’elle, des forces de deux natures mais, sereine, elle ne porte plus de jugement et se concentre simplement sur son ouvrage, afin d’en faire bon usage. Pourtant, la matière avec laquelle elle opère est éphémère. La nature lui a appris que c’est en se renouvelant sans cesse – en faisant chaque jour sans relâche le choix entre pur et impur – qu’elle pourra elle aussi se transformer, se régénérer. C’est pourquoi, en purifiant quotidiennement ses pensées comme ses émotions, elle pose en conscience, sans se juger, des actes qui l’amènent à s’élever. Sereine, elle se prépare ainsi à porter sa couronne de fiancée. Celle destinée aux âmes pures qui aspirent aux noces sacrées.