La Dame à la licorne œuvre afin de faire sien le langage de l’oiseau. Elle éveille son cœur à sa dimension sacrée et prépare son âme à sortir de son monde illusoire.

« Libérons-nous prestement, esprits célestes qui avons soif de la patrie céleste, des liens des choses terrestres, pour voler avec des ailes platoniciennes et à la main de Dieu, vers le lieu céleste, où, bienheureux, nous pourrons contempler l’excellence de notre nature » Marsile Ficin

Goûter sans se perdre

Pendant près de 20 ans, je fus une femme de l’ombre pour de nombreux artistes. A leur contact, j’appris beaucoup sur l’illusion de ce monde. Inconnus emplis d’espoirs, j’en vis plusieurs accéder à la célébrité, et malgré tout, sombrer. La reconnaissance, le pouvoir, la fortune et l’amour ne leur apportaient pas toujours ce qu’ils imaginaient. Arrivés au sommet, ils se retrouvaient le plus souvent entourés d’envieux prêts à les faire tomber, de faux amis et de faux ‘’aimants’’ attirés par un style de vie. Emprisonnés dans une image d’eux-mêmes et du monde qu’ils ne reconnaissaient plus et les faisait souffrir, la plupart s’y accrochaient pourtant pour continuer de briller. Ces expériences m’apprirent que notre monde n’offrait au final que des espoirs trompeurs, des joyaux éphémères ne menant pas à l’harmonie intérieure ni au bonheur promis. Y ayant goûté sans me perdre, elles m’éveillèrent de mon profond sommeil. Mon âme aspirait à tout autre chose ; j’œuvrai à la servir. Mais ce faisant, de plus en plus consciente de mon état de vie, je compris rapidement à quel point il était difficile de résister à l’appel des fausses lumières qui, chaque jour, nous maintiennent prisonnières.

La Dame et l’oiseau

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G: Le goût (détail), vers 1500, La Dame à la licorne – D: La chasse au faucon, Maître du codex Manessé, vers 1310 – wikimedia commons (domaine public)

Dans la tapisserie du goût, les oiseaux occupent une place de choix. La Dame porte et nourrit un perroquet ; elle est entourée d’un faucon et d’une pie. Depuis l’Antiquité, l’oiseau sert de symbole aux relations entre le ciel et la terre. Euripide le nomme « messager des dieux ». Il incarne, comme dans la tradition chrétienne, l’âme humaine – intermédiaire entre l’içi-bas et l’au-delà. Son vol nous rappelle quelle est sa vocation : l’élévation.

Le perroquet, animal qui sait imiter le langage propre aux humains, est un orateur. On le retrouve souvent figuré dans des représentations de la Vierge à l’enfant. Il est alors un emblème marial, symbole de la pureté et de l’innocence de l’Immaculée Conception. Ici, on peut donc l’interpréter comme l’âme purifiée dialoguant avec Pymandre – la voix de l’Esprit. Mais, ailes déployées, l’oiseau ne s’est pas encore envolé. L’âme, pour prendre son envol, doit s’alléger. La Dame œuvre encore à la purifier.

Le faucon atteste une fois encore des vertus de sa maîtresse. Comme l’aigle, il est, dans le bestiaire chrétien, l’image de l’homme qui se régénère aux sources de L’Esprit. Au Moyen Age, la fauconnerie reste le passe temps favori de la noblesse. L’oiseau dressé, une chose sacrée. A cette époque, un chevalier n’est accompli que s’il possède le talent de dressage d’un oiseau de proie. Tel est donc le cas de la Dame.

La licorne et le lion, serviteurs de l’âme

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Le goût (détails), La Dame à la licorne, vers 1500

Le vent – souffle de l’Esprit – agite la cape d’arme et la bannière des fidèles compagnons de la Dame. Tous deux ont tombé leurs boucliers. Par analogie, on peut comprendre que la raison comme le cœur, dont ils sont les symboles, s’abandonnent à l’Esprit pour permettre à l’âme–oiseau de prendre son envol. La licorne nous confirme qu’un long travail de purification a bien été accompli. Petite et caprine au début de l’histoire, elle se présente à présent sous les traits d’un cheval majestueux. Face à elle, une autre petite licorne se manifeste. Posée, elle fixe émerveillée l’Orient – la lumière naissante, symbole de la Sagesse. Le cœur s’est bien éveillé à sa dimension sacrée ; la jeune âme purifiée peut à présent être enseignée. Mais la licorne, pour la seule fois de l’histoire, nous fixe du regard. Elle nous met en garde. L’Homme, pour comprendre le langage de l’Esprit, doit sans relâche nourrir l’âme tout juste éveillée. Par sa seule volonté, il ne peut accéder à un autre niveau de conscience lui permettant de se libérer de ses illusions. Platon nous l’enseigne déjà dans l’allégorie de la caverne. Tout prisonnier enchaîné ne percevant du monde que des ombres projetées, peut se retourner et gravir le chemin qui l’amène à sortir de sa caverne – s’il suit la lumière. Mais pour atteindre la connaissance véritable, il doit la désirer et œuvrer car il lui faut parvenir à s’arracher de l’obscurité de son monde illusoire.