La Dame touchant la corne de la licorne se soumet à l’épreuve. Elle a choisi la voie du cœur. Jugée pure, elle accède à la connaissance.

« Lorsque dans toutes ses œuvres, l’être a des sentiments absolument purs, le fond de ses sentiments est Dieu lui-même » Maître Eckhart

La première rencontre

A 12 ans vint le moment de ma confirmation. Pour préparer ce sacrement de la rencontre avec l’Esprit Saint, on nous convia à une retraite spirituelle. Alors que la plupart des enfants passaient leur temps à jouer, je consacrai le mien à réfléchir, dans la chapelle, au sens de mon engagement. Laissée sans réponse, je décidai, le dernier soir, de veiller le Christ toute la nuit. Seule, agenouillée dans le silence, je me mis à prier de tout cœur. Des heures s’écoulèrent jusqu’au moment où, sans savoir comment, je fus soudainement immergée dans un espace d’une autre nature. Je m’y sentis reliée à toute chose ; enveloppée par un amour immense et impersonnel. Ce fut ma première grande expérience mystique. Je ne saurais dire combien de temps s’écoula avant qu’épuisée, je ne finisse par m’endormir. Mais, à mon réveil, tout était clair. J’avais décidé de vouer ma vie à Dieu. Rayonnante, toujours en état de grâce, je l’annonçai à mon père. Bien des années plus tard, il m’avoua avoir eu, ce jour là, peur que sa fille unique entre dans les ordres – tant la détermination que je manifestai le troubla.

L’épreuve de la corne

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Le toucher (détails), vers 1500, La Dame à la licorne

La Dame fait face à sa première épreuve. Elle touche la corne de la licorne. La bête, docile, se laisse prendre. Une légende très répandue au Moyen Age raconte que seule une jeune fille pure peut apprivoiser le farouche animal sans risquer de se faire transpercer. Sa corne, dressée vers le ciel, symbolise la puissance céleste. Dans la Bible, on l’appelle ‘’épée de lumière’’ ; elle tranche le pur de l’impur. Toucher la corne équivaut donc à faire face à la justice divine. C’est une épreuve de vérité : celui qui en ressort trop léger ne peut être initié.

Au Moyen Age, la représentation de la nature doit avant tout délivrer un sens moral. Pour expliquer l’inexplicable, l’artiste fait sans distinction aussi bien appel à des animaux réels que fantastiques. Toujours chargés d’un sens symbolique, ils nous enseignent – ici aussi – sur le déroulé de la scène. Dans l’iconographie chrétienne et l’héraldisme, le singe incarne l’homme dégradé par ses vices. Muselé, il nous apprend que la Dame a vaincu sa nature animale – ses passions. Le lion, gardien du seuil qui veille à ne laisser passer que les candidats au cœur pur, lui, se réjouit. La licorne aussi. On peut en déduire que la Dame a passée l’épreuve avec succès – comme le diadème qui la couronne en atteste. Elle possède la pureté de cœur et la force nécessaires à la quête. Lion et licorne œuvreront à présent avec elle.

La connaissance du cœur

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La chasse mystique (détail retable des Dominicains), M. Schongauer, vers 1480 (domaine public)

Sur la tapisserie, la licorne se tient à la gauche de la Dame. L’extrémité de sa corne se situe au niveau du cœur. C’est donc là que l’épreuve doit se jouer. Comme l’écrit René Guénon dans ses Symboles fondamentaux de la science sacrée, « partout le cœur est envisagé comme le centre de l’être, centre à la fois humain et divin dans les applications multiples auxquelles il donne lieu ». Il est le point de contact qui permet à Dieu de pénétrer l’être par l’intérieur et de l’illuminer par son rayonnement. Mais le cœur est aussi le centre des émotions, qui peuvent prendre le contrôle de l’homme et le pousser au pire comme au meilleur. C’est pourquoi celui qui cherche à passer l’épreuve doit d’abord le purifier. Les paroles du sermon sur la montagne  « heureux les cœurs purs car ils verront Dieu » nous en témoignent.

La Dame cherche la connaissance que Dieu seul révèle. En passant l’épreuve avec succès, son cœur accède à la Sagesse. Le traité De la Théologie mystique de Saint Denys l’Aréopagite est l’un des écrits les plus lus du Moyen Âge. Il invite, à la suite de Platon, à rechercher la connaissance de Dieu qui se définit comme une expérience permettant à l’homme de s’élever. La philosophie gnostique des premiers chrétiens et l’hermétisme avaient déjà fait de cette idée l’un de leurs piliers. La connaissance véritable – la Gnose – n’est pas une théorie mais une expérience intérieure directe de Dieu. Elle est force et sagesse.