Les dames ne cessent de se transformer. Par les sens et par le feu, elles œuvrent à leur métamorphose.

« Je dois diminuer et lui, l’autre, la nouvelle nature en moi, doit croître. Celui qui vient après moi était avant moi » Evangile de Jean

La métamorphose des dames

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La Dame à la licorne (détails des 6 tapisseries), vers 1500

La Dame et sa suivante ne cessent de se transformer. D’une tenture à l’autre, visages, parures et coiffures se modifient. Une métamorphose s’opère. Dans les premières scènes, à l’image de la Vierge Marie, les deux héroïnes sont vêtues d’or et de bleu. D’un point de vue symbolique, ces couleurs attestent d’un désir de sacré et de leur capacité à recevoir la divinité, à l’engendrer. Puis, chemin faisant, les tissus se soulèvent, laissant le rouge apparaître. Dans la dernière scène, ce symbole de feu règne en maître. Ces signes laissent à penser que les dames opèrent l’œuvre au rouge. Celle du feu et de l’amour. Pour chaque épreuve passée avec succès, les parures se font plus somptueuses, témoignant d’une élévation et d’un changement de nature. Pourtant, à la fin de l’histoire, la noble Dame abandonne tout à son unique désir. A ce stade, consacrée par des noces sacrées, sa royauté en l’esprit n’a plus besoin de s’afficher. Elle a transformé sa matière en or véritable ; il se dévoile sur le pan de sa robe. Les coiffures nous le confirment à leur tour. Lorsqu’il est question des sens supérieurs – ceux qui nous aident à tendre vers le divin – des tresses, dressées vers le ciel, coiffent la Dame. En forme de flemmes, à l’image du feu de l’Esprit, elles sont le signe de son union avec Dieu.

La métamorphose en question

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Une métamorphose par le Souffle  Le Printemps (détail), S. Botticelli, 1476 – wikimedia commons (domaine public)

Selon la pensée analogique médiévale que partage aussi hermétistes et alchimistes, la transformation extérieure que l’on nous conte peut donc s’entendre comme une transformation intérieure.

A l’aube de la Renaissance, les néoplatoniciens réconcilient la sagesse antique et le dogme chrétien. La métamorphose et l’âme redeviennent des thèmes de réflexion pour de nombreux penseurs. Si le Christianisme associe ce principe à la transfiguration – la phase où le Christ, homme céleste originel, fait place à Jésus, l’homme naturel, l’Alchimie parle, elle, de transmutation de la matière – cette matière, dans la réalisation du Grand-Œuvre, n’étant autre que l’alchimiste lui-même. La métamorphose, un processus de régénération spirituelle, s’opère par et avec l’âme, qui se transforme en s’élevant vers l’Esprit. Tournée au départ vers les passions du corps, l’âme – substance à la fois mortelle et immortelle – peut parvenir, par un long travail de détachement, à s’élever jusqu’au Un. Lorsque la rencontre se produit, le feu de l’Esprit se déverse et transforme l’être. L’âme régénérée, le corps duel, se renouvelle et retrouve sa forme originelle. Tel le Phoenix, l’homme renaît de ses cendres. Métamorphosé, il vit alors dans ce monde mais plus vraiment de ce monde, en unité, relié à l’Esprit.

Sens et nouveaux sens

Au XVème siècle, Marsile Ficin développe une philosophie de l’Amour qui permettrait d’atteindre par les sens la connaissance véritable. Partant de son désir de beauté, l’homme pourrait s’éveiller à l’amour de l’âme qui élève jusqu’au Beau et au Vrai, jusqu’à Dieu. Les tapisseries de la Dame à la licorne illustrent cette voie d’élévation. Tout au long de l’histoire, la Dame œuvre par les sens, des plus grossiers aux plus subtils. Grâce à eux, elle avance, peu à peu, en conscience. Ses sens, tout en l’amenant à comprendre la limite de sa connaissance, l’aident à s’élever jusqu’au Un. Là, recevant de nouveaux sens, elle apprend à voir et entendre ce qu’Il lui révèle. Elle acquière une nouvelle vision – celle du troisième œil, et un nouveau penser – un entendement non plus raisonné mais intuitif. Son intuition, s’appuyant sur sa liaison intérieure avec l’Esprit, dirige son regard dans la bonne direction. Son âme, nouveau sanctuaire de son intelligence, lui montre les interrelations entre toutes choses. Elle lui permet de reconnaître les signes du quotidien pour agir et servir au plus juste la volonté de son Seigneur.