Le décor est posé. L’île de la Dame à la licorne apparaît. Mystérieuse, chargée de symboles, elle nous invite à un voyage intérieur.

« Je suis sortie du monde grâce à un autre monde » Evangile de Marie

Mon île

Comme beaucoup, c’est à l’école que je fus confrontée, pour la première fois, au monde extérieur. Fille unique de nature solitaire et réservée, il me sembla de suite hostile et injuste. Face à sa violence, j’eus du mal à trouver ma place, refusant longtemps de combattre. C’est pourquoi, dès mon plus jeune âge, je m’inventai un monde bien à moi : une île imaginaire aux couleurs de celle où je passais mes étés. Elle avait un goût de sel et de liberté. La joie et la paix y régnaient. Mes parents étant souvent absents, elle fut, toute mon enfance, mon deuxième foyer. J’aimais m’y réfugier. Là-bas, j’eus toujours le sentiment d’être moi-même – sans chercher à briller, sans besoin de tricher, sans avoir à lutter.

L’île des mystères

L ile des mystères
Le toucher, La Dame à la la licorne, vers 1500

Celui qui, plongé dans le noir, pénètre dans la salle de la Dame à la licorne au musée de Cluny, se trouve lui aussi emmené dans un au-delà merveilleux. De très grande taille, englobant toute la pièce, les six tapisseries le placent, où qu’il regarde, face à l’île. Circulaire, verdoyante, flottant dans un espace rouge, elle se présente tel un point fixe au milieu de l’infini. Dans ce lieu, tout n’est qu’abondance. Arbres fruitiers et fleurs s’épanouissent au même moment, vivant, semble-t-il, dans un éternel présent. Dans cet univers de paix et de silence, tous les règnes cohabitent, en harmonie. Chose rare dans la représentation des bestiaires médiévaux, même les espèces ennemies, comme le lion et la licorne, s’allient. Aucune ombre ne plane sur l’île et la lumière ne provient pas du soleil. Le ciel rouge n’y est pas physique mais métaphysique. Empli de fleurs et d’animaux, il est traité, sans perspective, sur un même plan que la terre. Tous deux ne font qu’un. Nous sommes, d’entrée, avertis : l’île de la Dame est un monde à part. Le cercle, symbole géométrique d’unité, d’éternité sans commencement ni fin, en trace les contours, comme ceux de l’univers. Chargé de mystères, en dehors de l’espace et du temps, il est représenté comme un lieu où le sacré peut se manifester.

L’île de l’initiation

©Photo. R.M.N. / R.-G. OjŽda
St Jean à Patmos  par les frères de Limbourg, 1416 ©Photo. R.M.N. / R.-G. OjŽda

Beaucoup d’îles ont été habitées par des femmes prêtresses qu’elles soient mythologiques comme l’île d’Avallon ou bien réelles comme l’île de Sein. Ce lieu, perdu au milieu d’une mer ou d’un océan, symbolise, dans de nombreuses traditions, le centre spirituel. Univers de paix, coupé de l’ignorance et de l’agitation du monde, il est par essence un endroit propre à l’initiation, comme par exemple dans l’ouvrage de J. V. Andreae, Les Noces Alchimiques de Christian Rose-Croix. Métaphore de la solitude et de l’isolement choisi, l’île permet de se tourner vers soi, vers l’au-delà. Elle nous invite à un voyage intérieur. C’est pourquoi, partir à sa recherche – de façon consciente ou inconsciente – a toujours constitué l’un des thèmes fondamentaux de la littérature et des rêves, comme dans l’Odyssée d’Homère. Tel Ulysse qui rentre à Ithaque, ce voyage parsemé d’épreuves amène à une transformation intérieure.