La Dame à la licorne s’est reliée à une lignée d’initiées aux Mystères. Fidèle à la tradition, elle s’engage à devenir un maillon de la longue chaîne de transmission de la Sagesse.

« Voici que de nos jours, l’art a pris naissance chez les femmes. Seigneur Dieu, qu’est ce que cet art grâce auquel une vieille femme comprend mieux qu’un homme d’esprit ? (…) en son désir elle comprend mieux la sagesse qui émane du ciel que ne le fait un homme dur, qui est gauche en cela » Lamprecht de Ratisbonne – Fille de Sion (XIIIème siècle)

Liée à la Dame

La tapisserie du goût trônait au dessus du buffet. De cette place de choix, la Dame assista à tous les événements familiaux heureux et malheureux qui bercèrent ma jeunesse. Telle une Vierge, protectrice et nourricière, elle veilla, bien des années, sur notre assemblée. C’est dans cette salle à manger que j’appris à la connaître et qu’un lien secret se tissa entre nous. Si la Dame m’avait d’abord attirée, je me sentis rapidement reliée à elle. Sa force m’apaisait et il m’arriva souvent de m’en remettre à elle. Mais, suite au décès brutal de ma mère, me détournant de tout ce que j’avais jusqu’alors intérieurement reconnu, je m’interdis de croire encore en sa magie. Je la confiai donc à mon père, ne pouvant me résoudre à m’en séparer. Sans vouloir me l’avouer, j’espérais qu’elle veille sur cet être torturé. Quittant la maison familiale, j’entrai dans l’âge de raison, loin d’elle… et pourtant toujours reliée.

Une Dame de tradition

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La Dame à la licorne (détails tapisseries), vers 1500

La Dame emprunte de multiples visages. Si la commande des tapisseries est généralement attribuée à la famille Le Viste originaire de Lyon, on ne sait toujours pas à quelle femme l’œuvre était destinée, ni celle qu’elle figurait vraiment. Dans la pensée médiévale, toute représentation, avant d’être fidèle à l’histoire, doit avant tout avoir valeur d’exemple moral intemporel. La Dame, plus qu’un personnage ayant existé, doit donc se comprendre comme une figure symbolique. Elle est Dame de Sagesse ; une initiée aux Mystères.

Dans toute la tradition initiatique, la femme entretient un lien particulier avec la Sagesse divine. Alors que l’homme se fie à sa raison dans l’action, la femme laisse place à ses émotions et à son intuition pour guider sa vie. Elle est plus naturellement tournée vers le cœur qui, dans l’Antiquité et le christianisme, se définit comme le point de contact permettant à Dieu de pénétrer l’être et de l’illuminer. C’est pourquoi, depuis la nuit des temps, la femme a été reconnue comme une médiatrice privilégiée entre l’homme et le divin. A ce titre, elle a souvent occupé des fonctions de divination, de guérison et de protection du sacré.

La chaîne des Dames de Sagesse

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G: La chaîne d’or d’Homère- Utrinsque Cosmi (détail) , R. Fludd, 1617 – D: Le Toucher (détail), vers 1500, La Dame à la licorne

La Dame porte à sa ceinture une longue chaîne d’anneaux entrelacés. Ayant passé la première épreuve, elle s’est reliée à une lignée. L’histoire que l’on nous conte est celle d’une initiation qui se transmet de femme à femme au travers les âges. Elle se vit en groupe ou dans l’isolement.

Dans toute l’Antiquité, on retrouve trace de communautés féminines initiées aux Mystères. Pour ne mentionner que les plus célèbres, on citera les prophétesses primitives, les vestales romaines, les sibylles et les pythies grecques – disciples de Pythagore, les hiérophantes au temps de Platon ou encore les archidruidesses celtiques. Dans le christianisme catholique, cette tradition se perd et c’est à la Vierge Marie que l’on confie la fonction sacerdotale. Mais, au Moyen Age, la dame de Sagesse regagne une place de choix. Dans le mouvement du catharisme occitan les Parfaites, dont la Grande Esclarmonde de Foix, œuvrent avec les Parfaits alors que la Dame de l’amour courtois inspire les troubadours et les chevaliers du XIème au XVème siècle. Il existe, également à cette période, un courant mystique d’initiées aux Mystères toléré au sein de l’Eglise. Ces femmes, comme l’explique André Vauchez dans La spiritualité au Moyen Age occidental, « moins imprégnées de culture biblique que les moines, parlent de Dieu en se référant au modèle littéraire profane de l’amour courtois». Recherchant à s’unir à Dieu, elles développent une voie personnelle basée sur le dépouillement et la dévotion au Christ. La plus célèbre demeure, au XIème siècle, la moniale Hildegarde de Bingen, reconnue de son vivant comme ‘’conscience de l’Europe entière‘’. Puis, les béguines Hadewijch d’Anvers  au XIIIème siècle et Marguerite Porète au XIVème siècle dont la communauté, comme les églises cathares, finiront persécutées par l’Inquisition. Dès lors le message s’éclaire. Comme les dames de Sagesse qui l’ont précédée, la Dame s’engage à devenir un maillon de transmission. Etant initiée, elle enseignera à son tour à toutes celles qui aspirent aux Mystères et à tous ceux qui choisissent, comme elle, la voie du coeur.