La Dame à la licorne œuvre dans son laboratoire-oratoire. Elle nous témoigne d’une voie alchimique ‘’au féminin’’.

« Ne crois rien que tu n’aies éprouvé par toi-même » Paracelse

Une œuvre alchimique

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L’ Alchimie, Collectanea Chymica, C. Loe Morley & T. Muykens, 1693

Au fil des tapisseries, la Dame, en transformant la matière, se transforme pareillement, sans que l’on comprenne comment. Elle pratique un Art royal qui l’initie aux Mystères. Il se nomme alchimie.

L’alchimie reste perçue comme une science chimérique permettant de transformer du plomb en or. Mais peu savent qu’elle a posé les bases de la chimie moderne et que cette science sacrée se pratiquait déjà dans l’Antiquité. C’est Hermès Trismégiste qui l’aurait dévoilée le premier dans les écrits du Corpus Hermeticum. Pour cet auteur, l’alchimie véritable se définit autant comme une physique qu’une métaphysique, celui qui la pratique recherchant une transformation à la fois matérielle et spirituelle. A l’époque de la Dame, les traités qui composent cet ouvrage sont connus et étudiés. En 1463, le néoplatonicien Marsile Ficin en fait une traduction en latin qui connaît un grand succès. A sa suite, les XVIème et XVIIème siècles marquent l’âge d’or de l’alchimie en Europe. De très nombreux ouvrages, riche d’illustrations, sont publiés et largement diffusés. Mais l’enseignement de cette science sacrée demeure difficile d’accès car son langage symbolique égare autant qu’il révèle. Fidèles à cette tradition, les tentures de la Dame à la licorne délivrent leur message sous forme d’énigmes. Plus simplement que des mots, ces images chargées de Mystères nous aident à approcher par les sens de la véritable connaissance.

Les Dames à l’œuvre

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La Dame à la licorne (détails des 6 tapisseries), vers 1500

La Dame observe et œuvre, toujours très concentrée sur son ouvrage. Guidée par le Souffle, elle s’initie aux Mystères. Sa suivante, qui ne la quitte jamais du regard, apprend à son contact en assumant de petites tâches.

L’art, au Moyen Age, doit pouvoir s’interpréter dans une dimension sacrée. Pourtant, dans les tapisseries, la Dame ne se présente jamais selon l’iconographie conventionnelle. Elle n‘est pas en extase ni ne médite dans un isolement propre à l’intériorité. Bien au contraire, elle œuvre sans relâche, seule ou accompagnée par sa suivante, dans et avec le monde qui l’entoure. Ces deux femmes, aspirant au sacré, ne suivent donc pas une voie mystique mais alchimique. Les grands alchimistes ont toujours cherché par l’observation et l’expérimentation à connaître la nature des choses, à fabriquer la pierre des sages – la pierre philosophale – pour accéder, selon Paracelse, à la connaissance véritable. Mais hommes d’action et de raison, ils ne recherchent pas seulement la révélation dans la contemplation ; ils œuvrent sans relâche avec l’esprit à leur propre transformation.

Une initiation ‘’au féminin’’

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L’oeuvre au blanc et l’oeuvre au rouge, Donum Dei, G. Aurach, 15ème siècle

L’histoire de la littérature alchimique ne semble pas avoir compté de femmes illustres à part de rares exceptions comme Catherine Sforza, Marie La Juive ou Sabine Stuart de Chevalier. La Dame à la licorne marque l’exception. Elle témoigne d’une voie ‘’au féminin’’.

Dans les très nombreux traités dont on trouve trace, si la femme incarne souvent l’Alchimie, celui qui la pratique est toujours un homme. Le plus souvent, on le représente au travail dans son laboratoire-oratoire sous les traits d’un vieux sage savant, entouré de livres et d’un vase prêt du feu. Là, il opère par un certain nombre d’opérations raisonnées, priant Dieu de le guider dans sa quête. Il cherche la juste formulation qui, en transformant la matière qu’il a choisi de travailler, le transformera à son tour. Il n’agit pas sur la matière ; il interagit avec elle. L’alchimie latine parle de trois phases de l’œuvre.

La Dame, elle, a fait le choix d’opérer par la nature et les arts mais sa voie part du cœur plus que de la raison. Dans son laboratoire-oratoire à ciel ouvert, la beauté terrestre la met en relation avec la beauté céleste. Elle ne cherche pas à maîtriser ni à consigner le processus alchimique qui s’opère, elle s’abandonne au Souffle de l’esprit. Suivant son guide, elle accueille en confiance les épreuves qui se présentent à elle. Rayonnante tout en restant vigilante et appliquée à la fabrication de sa pierre, elle opère en conscience. La Dame éprouve, à sa manière, l’œuvre au noir – la phase d’introspection et de purification de l’âme, l’œuvre au blanc – celle de la fortification de l’âme jusqu’à l’élévation et l’œuvre au rouge – celle de la fusion de l’âme avec l’Esprit.