La Dame à la licorne est appelée. Face au vent, elle reconnaît son guide et s’apprête à le suivre.

« Réveille-toi et lève toi de ton sommeil, entends les paroles de notre lettre, (…) souviens toi que tu es fils de Rois, vois l’esclavage, qui tu sers (…) souviens-toi de la perle (…), rappelle toi ton vêtement resplendissant (… afin) que tu deviennes héritier dans notre Royaume » Le chant de la Perle/Actes de Thomas

L’invitation de la Dame

Fidèle à la tradition, la Dame entra dans ma vie par l’intermédiaire de femmes – celles de ma famille. A dix ans, alors que j’assistais à mon premier bal, mes tantes me firent présent d’un billet de loterie. M’en remettant au hasard sans rien désirer vraiment, j’emportai le premier prix : une très grande tapisserie du goût. J’aurais du être ravie. Pourtant, lorsque mes tantes me remirent l’objet, m’informant de sa grande valeur, ce don tombé du ciel me laissa perplexe. Au premier regard, je ne fus pas vraiment sensible au charme médiéval de la Dame, pas plus qu’à son message. Mais, sans que je sache pourquoi, quelque chose en elle m’attira. J’acceptai donc comme un honneur de prendre soin de ce précieux trésor. Il me fallut bien des années avant de pouvoir m’expliquer ce qui se joua ce soir là. La Dame était venue à moi et m’avait invitée à me ressouvenir. Elle serait ma protectrice et mon guide mais, avant de pouvoir la suivre, il me faudrait goûter à la vie – mon nécessaire chemin d’apprentissage.

L’appelée

lappelee
Le toucher (détail), vers 1500 – La Dame à la licorne

La Dame semble à l’écoute d’une voix qui la met en joie. Déterminée, elle passe à l’action en touchant la corne de la licorne – sa première épreuve. Elle a reçu une invitation à se mettre en chemin et l’a acceptée ; l’histoire peut commencer.

A partir du milieu du XIVème siècle, la pensée comme l’art sont influencés par le néo-platonisme de Ficin, dont l’école tente de relier la philosophie antique et le christianisme. On y retrouve l’idée que l’Homme, qui participe activement à son destin, peut retourner au divin par un processus de connaissance et de purification. Mais, comme le rappelle l’évangile de Matthieu, si beaucoup sont appelés, peu sont élus aux noces sacrées. Pour le christianisme originel, la vocation n’est donc qu’un point de départ, pas une fin. Les croyants sont ceux qui, bien qu’appelés, n’en sont pas encore conscients ; les appelés sont ceux qui deviennent conscients de leur état d’être et acceptent d’accomplir le chemin du Salut ; les élus sont ceux qui y parviennent. L’Homme a toujours la liberté de choisir. Il est maître de son destin. Il peut refuser l’appel ou ne pas le reconnaître, s’il n’est pas encore prêt. La Dame le sait. Elle a tranché. C’est pourquoi elle se présente telle une vaillante preuse partant au combat.

L’aide surnaturelle

appelMutusLibert
Mutus Liber (couverture), 1677, Altus

Même si aucun chevalier ne l’accompagne, la Dame ne s’engage pas seule dans sa quête. Le vent qui souffle dans ses cheveux détachés nous laisse entrevoir la présence d’une aide d’une autre nature. A chaque étape, elle veillera à ses côtés.

Joseph Campbell dans Le héros aux 1001 visages constate que quelle que soit la quête, l’appelé, lorsqu’il accepte d’en revenir à sa patrie originelle, n’est jamais abandonné. Il reçoit toujours une aide surnaturelle qui l’accompagne tout au long du chemin. Elle l’éclaire et lui donne la force de passer les épreuves. Elle se manifeste souvent sous les traits d’une figure protectrice – d’un guide incarnant sagesse et force d’amour. Dans la mythologie grecque, on pense à Orphée qui va chercher Eurydice dans le monde inférieur et la guide à l’extérieur ou encore à Ariane qui aide Thésée à sortir du labyrinthe. Au Moyen Age, c’est la Dame de l’amour courtois qui inspire et aide son vaillant chevalier à œuvrer. Ou bien encore, la Béatrice de Dante dans La Divine Comédie… Dès lors, le message s’éclaire : la Dame sereine a reconnu son guide et s’apprête à le suivre. Faisant face au vent qui vient d’Orient, elle s’ouvre au souffle, symbole pour les chrétiens, de l’Esprit Saint.