La Dame à la licorne s’est souvenue de sa vraie nature. Apaisée, elle œuvre selon ce féminin sacré.

« La femme doit travailler à découvrir le dépôt sacré en elle et dans les textes de la Tradition qui est la sienne (…) c’est à la femme de nourrir l’enfant, l’époux, voire la société, des valeurs qui reconduisent au un » Annick de Souzenelle – Le féminin de l’être

Le féminin dénaturé

Les femmes de ma famille m’avaient appris sur la nature du féminin. Mais, entrant dans la vie active, je fis quelques années durant la route au côté d’une amazone qui me confronta à un tout autre modèle. Au début des années 90, les postes à responsabilité restaient réservés aux hommes. Pourtant, dans le milieu très masculin dans lequel j’évoluais, la première femme qui accéda à un tel poste fut ma patronne. Pour prendre le pouvoir et surtout pour le garder, elle ne cessa de se battre en usant de ruses et de manipulations. Mettant son intelligence et son charme au service de ses ambitions, elle n’hésita jamais à utiliser ou sacrifier les personnes qui l’entouraient. La soif du pouvoir lui assécha le cœur. Telle Lady McBeth, elle fascina autant qu’elle effraya ceux qui l’approchaient. Mais combattant comme un homme, elle périt comme telle : violemment et abandonnée de ses proches collaborateurs. Si, au début, il m’arriva d’admirer la femme qui avait su prendre sa place dans un monde d’hommes, je ne pus jamais me résoudre, découvrant comment elle y parvenait, à la prendre pour modèle. Face à la question du genre, je pressentais l’existence possible d’un tout autre féminin.

Trois modèles du féminin

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L’odorat (détails), vers 1500 – La Dame à la licorne

Dans l’odorat, trois modèles différents de la féminité nous sont proposés. La Dame incarne la femme libre ayant reconnu sa vraie nature. Elle a appris à se connaître et œuvre à présent, sereine, à sa mission sacrée, sans se soucier du monde extérieur. Sa suivante, elle, commence seulement son apprentissage. Elle cherche à se connaître et se soumet encore à un maître. En observant la Dame et par ses propres expériences, elle découvrira au fil de l’histoire sa nature profonde et véritable. Le singe, enfin, prend sans réfléchir la première fleur – le premier modèle, s’offrant à lui dans le panier. Cet animal, pour la pensée médiévale chrétienne, symbolise l’homme grossier et dégradé. On peut alors en déduire qu’il personnifie ici l’être dénaturé qui a oublié sa vraie nature. Pour se construire et survivre, il ne fait que copier les modèles à sa portée. Toute quête débute par un désir de connaissance de soi. Ce désir se manifeste au départ par une prise de conscience ; par une révolte intérieure contre des modèles extérieurs. Alors, la femme se met en chemin et se souvient de sa vraie nature.

De la nature oubliée

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Adam & Eve – Lucas Cranach l’Ancien, 1626 – wikimedia commons (domaine public)

Nous avons oublié qu’avant l’ère d’un Dieu créateur et solaire, ce sont les déesses primordiales lunaires qui incarnèrent ce rôle dans toutes les grandes civilisations pendant des millénaires. Dans ‘’Le mythe de la déesse, évolution d’une image’’, Anne Baring et Jules Cashford nous expliquent que c’est avec le retournement du mythe d’Eve que la Grande Déesse fut déchue de son double rôle ancestral. Lorsque l’Homme décida de séparer le bien du mal et le Créateur de la création, il fit le choix de ne retenir de l’archétype du féminin que son pouvoir de destruction. Il lui renia l’autre fonction que la Déesse mère avait jusqu’alors toujours exercée : donner vie à toute création et accorder la libération et l’immortalité. L’unité ainsi fut brisée. Dès lors, tout ce qui était associé au féminin sacré fut de même désacralisé. La nature, la terre et le corps ne furent plus respectés car jugés pervertis ; l’âme fut séparée de l’esprit et soumise à sa loi. L’Eglise retira alors à la femme son droit à l’autorité, à la liberté et à la connaissance, lui imposant, en tant qu’être inférieur, de se soumettre à son mari. Le Dieu père et l’archétype du masculin consacrés, l’Homme restait seul avec sa conscience.

Retrouver le féminin sacré

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Le pouvoir de Frau Minne sur le coeur des hommes, Maître Caspar de Ratisbonne, vers 1479

En France, il fallut attendre le Moyen Age pour que les pères de l’Eglise reconsidèrent le féminin sacré, poussés par le peuple et les artistes qui vouaient un culte à Marie. Au fil du temps, la Vierge s’imposa à son tour comme une déesse mère pleine d’amour permettant à l’Homme de racheter ses pêchés et de se relier, par le cœur, au sacré. De même, la Sagesse ne fit à nouveau plus uniquement liée à la Parole du Verbe, saisissable par l’esprit ; elle fut également incarnée par une figure féminine : la Sophia – la connaissance intuitive par l’âme, chère aux gnostiques comme aux mystiques chrétiens.

La femme médiévale mena également un combat pour retrouver sa liberté et une place dans la société. Elle tenta d’adopter les valeurs guerrières des hommes pour se faire respecter sur leur terrain et conserver ses biens ou elle fit autorité par les lettres et les arts, plaçant l’homme guerrier à son service sur son propre territoire. Beaucoup de femmes, à travers l’histoire, durent combattre, oubliant en chemin leur nature profonde et véritable. Aujourd’hui encore, nombreuses sont celles qui éprouvent un sentiment de révolte. Pourtant, comme l’explique Annick de Souzenelle dans Le féminin de l’être, après le temps du féminisme, qui l’a extérieurement libérée mais a montré depuis ses limites, et le temps d’une féminité artificielle exploitée par les media, la femme qui cherche à se comprendre et s’apaiser doit retrouver sa part de féminin sacré.