La conscience éclairée, la Dame à la licorne accède à l’intuition véritable. Elle s’est reliée à l’Esprit et l’intelligence du cœur guide à présent ses actes.

« L’œil dans lequel je vois Dieu est le même œil dans lequel Dieu me voit. Mon œil et l’œil de Dieu, ce sont un seul œil, une seule vision, une seule connaissance et un seul amour » Maître Eckhart

L’intuition véritable

Si, enfant, j’appréhendais la vie avec magie, je pris la décision à l’âge adulte de ne me fier qu’à ma raison. Je ne pus néanmoins nier très longtemps la force intérieure qui nous amène à savoir et agir d’instinct. L’accepter à nouveau pour guide ne fut, par contre, pas chose si facile. S’en remettre en toute confiance à l’irrationnel nous pousse à avancer sans filet. Placé face à nos peurs et aux croyances cartésiennes du monde actuel, il faut accepter de lâcher car notre seule volonté ne peut nous permettre de les dépasser. A des moments clés, alors que ma vie semblait toute tracée, elle m’a aidé à poser des actes ‘’insensés’’ qui l’ont fait basculer. Je n’ai souvent compris que plus tard la portée de ces choix, sans avoir jamais à les regretter. L’intuition, présupposée féminine, nous apprend à nous retourner vers l’intérieur ; à refaire confiance au cœur. Mais pour celui qui suit un chemin d’éveil, l’intuition véritable ouvre à bien plus grand que nous-mêmes. Celui dont l’âme aspire vraiment à l’Esprit, un jour le perçoit. Alors son guide devient autre. Il le ressent, intérieurement, de plus en plus vivant, comme une force qui éclaire sa conscience – au départ en de rares moments puis de plus en plus fréquemment. Aujourd’hui, je discerne davantage les signes qui m’entourent ; ils se glissent dans toutes les petites choses et moments de ma vie. Ils me poussent, lorsque c’est nécessaire, à agir dans l’instant, ‘’malgré moi’’, suivant une force qui me porte. Alors une joie profonde m’envahit toute entière ; je sais que je pose des actes fidèles à sa volonté et non à la mienne.

La Dame éclairée

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La vue (détails), vers 1500, La Dame à la licorne

La Dame dans cette scène trône, droite et sereine, au centre de la scène. Elle a assurément gagné en sagesse ; les traits de son visage, plus matures, en témoignent. Deux mèches de cheveux, maîtrisées et ornées de perles, encerclent sa tête. Elles se rejoignent et s’unissent au sommet de son crâne pour former une spirale, semblable à une flamme. Tous ces signes nous éclairent : la Dame est à présent unie à l’Esprit.

Dans la plupart des traditions selon l’encyclopédie des symboles, celui qui siège sur un trône incarne le pouvoir divin. Droit et stable comme un axe qui relie le ciel et la terre, il devient le temple dont le cœur sacré peut manifester le Verbe. La flamme, symbole universel de purification et d’illumination, atteste dans toute l’iconographie chrétienne de cette présence. Comme le miracle de la Pentecôte l’enseigne dans les Actes des Apôtres, lorsque l’Esprit Saint descend et pose sa langue de feu sur la tête, celui qui la reçoit se trouve alors rempli de sa force et s’exprime selon sa volonté. La Dame nous le confirme. Elle n’est plus couronnée par de l’or et des gemmes mais par des perles – un symbole de Sagesse. Ce n’est donc plus ici sa noblesse d’âme qui se voit consacrée mais bien celle de sa royauté en l’Esprit. Il éclaire sa conscience et irradie tout son être.

L’intelligence du cœur

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La voie vers le Christ, frontiscipe, Theosophische Wercke, J. Boehme, 1682

Le miroir, symbole de connaissance, se présente à la droite de la Dame tout en étant orienté vers ce qui se trouve à sa gauche. Dans la tradition chrétienne d’Occident, le côté droit est associé à la raison et à l’action ; le côté gauche, au cœur et à la contemplation. Ils expriment généralement des contraires. Mais dans cette scène, cœur et raison ne s’opposent pas ; ils s’unissent. Sa conscience s’étant illuminée, la Dame a développé une nouvelle manière de penser : une intelligence du cœur. Pour l’hermétiste, elle possède à présent le pouvoir non seulement de voir mais aussi de comprendre la Vérité. A l’aide de cette intuition créatrice, la Dame éclairée peut maintenant commencer à agir véritablement selon l’Esprit. Elle sait ; il n’y a donc plus d’opposition pour elle entre cœur et raison.

L’intuition est aujourd’hui considérée comme un mode de connaissance plutôt féminin et irrationnel. Le cœur, depuis Descartes, ne serait plus que le siège des émotions, l’intelligence ne pouvant découler que de la raison. Cela n’a pas toujours été ainsi. A l’époque de la Dame, comme depuis l’Antiquité, les sages reconnaissaient l’existence d’une autre forme d’intelligence pure et directe se présentant au penser comme une évidence. Platon la définissait comme la saisie immédiate de la vérité de l’idée par l’âme, indépendamment du corps. Selon l’évangile de Marie, cette perception intuitive ne proviendrait ni de l’âme ni de l’esprit tels que nous les connaissons, mais d’une conscience du cœur, née de l’union de l’âme purifiée avec l’Esprit. Elle donnerait la faculté à celui qui – homme ou femme – se tourne entièrement vers lui, non seulement de voir mais également d’entendre et de comprendre de plus en plus clairement ce que Dieu attend.