La Dame à la licorne agit, fidèle à la courtoisie. Le regard tourné vers l’intérieur, elle dialogue avec Pymandre.

« Ce que je veux faire, je ne le fais pas et ce que je ne veux pas, je le fais » Evangile de Paul                 

Agir en conscience

Lorsque je dus faire ma place dans la société, la conscience du bien et du mal qui m’avait été enseignée se trouva fort ébranlée. Ne pouvant agir ouvertement selon les qualités de cœur auxquelles j’aspirais, il me fallut tenter de trouver un juste comportement à suivre, sans me trahir. Mais il arriva un moment où cela ne me fut plus possible. Et, à 28 ans, la question du sens à donner à mon existence revint me hanter. Au contact de personnes qui, pour accéder au pouvoir ou aux richesses qu’offre ce monde, n’avaient pas hésité à se vendre, je compris que ce choix n’était jamais sans conséquence. Si elles pouvaient briller en société, face au miroir impossible de tricher. Une toute autre image d’elles-mêmes, souvent douloureuse à accepter, se révélait. Elle les transformait. Forte de ce constat, une seule certitude m’habitait. Je me refusais à devenir une femme au cœur sec et aux yeux vides. Il me fallait me trouver pour éviter de me perdre. Mais comment faire ? C’est lorsque je fus arrivée à cette limite, plongée dans un profond désarroi, que la Dame, une nuit, se rappela à moi. « Ecoute la voix de l’âme » me souffla-t-elle à l’oreille. Cette fois, j’acceptai son conseil, prenant l’engagement de m’en remettre à elle. Enfant, elle m’avait souvent guidée mais à l’âge adulte, j’avais renoncé à l’écouter. Restée silencieuse depuis de nombreuses années, elle reprenait enfin contact. Il me fallut du temps pour la comprendre et accepter de la laisser à nouveau guider mes actes.

La Dame courtoise

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Le goût (détail), vers 1500, La Dame à la licorne

La Dame, généreuse et volontaire, nourrit un oiseau. Elle agit en conscience, telle une Dame courtoise. La courtoisie, art de vivre né au Moyen Age, désigne une façon d’être, un ensemble d’attitudes et de mœurs de la cour seigneuriale que tout noble chevalier se doit de respecter. Il se caractérise par l’élégance morale, la politesse, la générosité, l’humilité, le refus de tout mensonge et de toute lâcheté. Le chevalier courtois place au centre de son existence l’amour, la fidélité et le courage, opposant ainsi sa conduite courtoise à la vilainie, comportement propre au bas peuple.

La conscience qui pousse la Dame à agir ne s’entend donc pas au sens qui nous est familier. Depuis Descartes et son célèbre, « je pense, donc je suis », l’homme se définit en Occident par sa pensée : une conscience de soi, séparée de toute autre forme de vie. Cette conscience ‘’analytique’’ lui permet de se percevoir et de percevoir le monde extérieur par les sens. La conscience qu’il a de lui-même et de ce qui l’entoure se construit à partir de son éducation, son hérédité, ses expériences, ses sentiments… Son cerveau agit comme un filtre qui maintient la cohésion de cette identité, de sa réalité. Sa perception est donc conditionnée et limitée par ce que le cerveau – foyer de sa conscience – accepte de reconnaître. Cette vision contemporaine n’est pas celle de la Dame. Sa conscience s’entend comme conscience ‘’morale’’ chrétienne, plongeant ses racines dans une connaissance du bien et du mal, et conscience ‘’métaphysique’’, au sens du platonisme comme de l’hermétisme.

Le souffle à l’œuvre

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Le goût (détail), vers 1500, La Dame à la licorne

La Dame semble plongée dans ses pensées. Le vent – symbole de l’Esprit – partout à l’œuvre dans cette tapisserie, agite son voile. Cette présence nous indique que le souffle divin dialogue avec elle.

Dans l’Antiquité, la conscience telle que nous la définissons aujourd’hui n’existe pas. Chez Platon, ce qui s’en approche, le Noûs, s’entend dans un sens qui ne place pas hors de nous le monde, les autres et Dieu, mais qui inclut le divin à l’intérieur de notre être. Ce Noûs désigne la partie la plus divine de l’âme qui, seule, peut entendre la voix de l’Esprit, Pymandre. Dans un dialogue intérieur avec lui, l’Homme accède peu à peu à la connaissance véritable qui transforme sa conscience et sa vie. La Dame le sait. En parlant avec Pymandre, elle cherche à saisir une réalité supérieure ; celle que Dieu seul révèle à l’âme purifiée et éveillée. Agissant encore selon l’arbre de la connaissance du bien et du mal, telle une Dame courtoise, elle aspire à vivre selon l’arbre de vie hermétique ; selon une conscience universelle, omniprésente – présente partout et en tout. Seule cette conscience de l’âme renouvelée par l’Esprit pourra lui permettre de voir l’unité de toute chose et d’agir par-delà le bien et le mal. Tel est son seul désir.