La Dame à la licorne a choisi la lune pour blason. A son image, le monde de la nuit se présente aussi comme celui nécessaire à sa quête.

« J’étais un enfant de la terre et du ciel étoilé mais ma race est du ciel seul »  Hymne d’Orphée

Nuit magique

La nuit m’a toujours appelée. Enfant, elle fut pour moi source d’apaisement, une mère bienveillante et nourricière qui, en grandissant, m’initia à ses mystères. Timide et solitaire, je n’aimais pas le monde extérieur. Mais le soir venu, c’est avec délectation que je me plongeais dans le sommeil. La nuit balayait mes frustrations quotidiennes ; elle compensait ce que j’avais pu vivre de douloureux le jour en m’offrant des songes merveilleux. Comme beaucoup d’êtres sensibles, j’avais du mal à communiquer avec autrui mais la nuit, toutes mes barrières tombaient. Je pouvais enfin exprimer ce que je ressentais. La langue des songes, langage d’images riche et puissant, me libérait du carcan des mots et de la pensée rationnelle. Avec le temps, je me sentis néanmoins de plus en plus souvent transportée, non pas dans mon monde imaginaire – un pays merveilleux façonné au gré de ma volonté et de mes désirs inconscients – mais dans un au-delà céleste, où j’étais en harmonie avec l’univers. La nuit tentait de m’éveiller à une autre réalité ; elle m’invitait à me ressouvenir de mon appartenance à un tout autre royaume.

La lune pour blason

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Le toucher (détails), vers 1500 – La Dame à la licorne

Plantant fermement sa bannière au centre de l’île, la Dame affiche haut et fort son appartenance à un monde lunaire. Son emblème, le croissant de lune, se retrouve partout sur ses armoiries.

Au Moyen Age, la bannière est signe de reconnaissance et de ralliement mais seule une personne noble peut se voir doter d’un blason, qui est l’âme comme l’attribut essentiel de la chevalerie. Il permet d’identifier une personne au travers d’un véritable langage visuel – l’héraldique, que chacun, à cette époque, comprend parfaitement. Si les armoiries affichent la lignée, elles proclament également symboliquement les aspirations de celui qui les porte. La Dame, faisant le choix de la lune et de couleurs particulières, annonce ainsi clairement ses intentions et les valeurs qu’elle défend. Selon le langage héraldique : le rouge (gueules) symbolise son désir de servir  avec force et courage ; le bleu (azur), la fidélité et la persévérance qu’elle voue à ce qu’elle sert ; l’argent du croissant de lune, la pureté et la sagesse qui sont siennes.

Gérard de Sorval dans Le langage secret du blason nous apporte un autre éclairage. Il écrit que « le croissant, qui est le réceptacle nocturne où la lumière croit, est analogiquement semblable à une coupe (…) telle la coupe du Graal. Dans l’Apocalypse, la Vierge, Arche du Salut et Arche d’alliance, est présentée le croissant de la lune sous les pieds, vêtue du soleil et couronnée d’étoiles ». La lune, à l’image de la Vierge, incarne un pouvoir de fécondité et de croissance ; elle peut enfanter la divinité. Les croissants, au nombre de trois, nous le confirment. Symbole de la Sainte Trinité de Dieu dans le christianisme comme du ternaire Mercure-Sel-Souffre dans l’œuvre alchimique, il est par essence le chiffre de toute création de nature sacrée. Le blason de la Dame, dès le départ, semble donc bien nous informer sur la nature de sa quête chevaleresque.

La nuit, matrice de l’œuvre

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Vierge à l’enfant par A. Dürer, 1511 Epitome in divae parthenices Mariae historiam – source gallica.bnf.fr/BnF

Tout au long de l’histoire, la Dame œuvre dans un monde nocturne, propre à l’intériorité. Aucun soleil, jamais, n’y apparaît. Plongée dans l’obscurité, elle semble néanmoins toujours avancer, éclairée par une source qui échappe à notre regard.

La nuit est la matrice de toute chose ; un temps de gestation pour la nature et pour l’homme qui leur permet de renaître. La lune régit tout ce qui est soumis au devenir cyclique. Si la Dame la choisit, c’est donc bien pour nous dire que l’histoire que l’on nous conte est celle d’un cycle qui s’accomplit, au cœur de la nuit ; d’une transformation qui s’opère, au plus profond de l’être. Dans la mystique chrétienne, l’obscurité désigne la phase de purification permettant de contempler la lumière divine. Pour l’alchimiste, la lune possède elle un autre pouvoir. Celui d’éclairer le monde secret de la nuit, permettant ainsi de le formuler. Elle est la révélatrice du vrai soleil spirituel, dont la clarté n’affecte directement ni les sens, ni l’entendement. L’astre qui révèle progressivement le chemin à suivre et éveille la conscience. La nuit n’est pas absence de lumière mais lumière cachée ; celle que seuls les initiés peuvent contempler. Selon la tradition hermétique, chaque nuit, une fois le corps endormi, l’âme peut être enseignée par la Sagesse véritable qui lui est révélée. C’est pourquoi les anciens alchimistes se nommaient ‘’teinturiers de la lune’’. La Dame, plantant sa bannière lunaire, se présente à son tour comme telle.