La Dame à la licorne ne connaît plus la souffrance. Sur l’île de l’éternel printemps, tous œuvrent dans une joie profonde, reliés à l’Esprit.

 « La connaissance de Dieu nous parvient et par elle l’ignorance est repoussée. La Gnose et la joie nous parvient et par elle la souffrance fuit »  Hermès Trismégiste

Face à la souffrance

Nous vivons aujourd’hui dans un monde où tout se trouve démasqué et semble nous échapper. Informés en temps réel des catastrophes naturelles et des guerres, des systèmes qui s’écroulent, de la nature de l’homme dans toute son horreur ; nous nous trouvons placés face à la souffrance de l’humanité, sans pouvoir la comprendre ni savoir vraiment comment l’apaiser. Nos croyances comme notre quotidien s’en trouvent ébranlés, d’autant plus violemment qu’en Occident, notre société de plaisirs fuit la souffrance, jugée vide de sens. Alors, pour pallier à la douleur de l’être, notre société de consommation exalte toujours davantage les bienfaits de l’avoir. Mais pour beaucoup, ce bonheur illusoire ne suffit plus. De plus en plus d’hommes s’éveillent et expérimentent d’autres voies. Certains tentent de retrouver un certain bien-être par le développement personnel. D’autres, révoltés ou pleins d’espoir, tentent de changer les règles pour faire de ce monde, à l’image du paradis perdu, un nouvel éden. Pour ma part, j’ai choisi d’en revenir au sacré, tentant d’abord de me connaître et de me transformer afin de pouvoir connaître, un jour peut-être, le plan de Dieu. C’est en faisant l’expérience de la souffrance, placée face à mon impuissance, que j’ai commencé à me questionner. Ressentant la douleur d’être séparée d’une partie de moi-même et du monde auquel j’appartenais, c’est encore elle qui m’a amenée à chercher une autre voie… la mienne. Si la souffrance n’est pas un mal nécessaire, elle nous aide pourtant à nous sortir, souvent, d’un profond sommeil.

Vivre dans une joie profonde

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A mon seul désir (détails), La Dame à la licorne, Vers 1500

Depuis le début du voyage, la Dame a affronté bien des épreuves sans jamais, semble t-il, souffrir. Poussée par sa foi inébranlable, c’est avec sérénité qu’elle a, pas à pas, franchi les étapes. Sans peur ni regret, elle demeure à présent dans un état de bonheur qui semble inaltérable.

Le culte que notre culture voue au bonheur nous pousse à tout évaluer en termes de plaisir, refusant ce qui fait souffrir. Pascal Bruckner dans L’euphorie perpétuelle nous explique que cette vision est relativement récente et qu’elle prendrait sa source dans la célèbre phrase de Voltaire, « le paradis terrestre est là où je suis ». A l’époque de la Dame, les croyances sont bien différentes. Dans un monde chrétien, l’idée du bonheur se définit davantage comme une plénitude. Cet état ne peut s’atteindre qu’en Dieu, tous les plaisirs d’ici-bas n’étant qu’illusoires. L’homme ne fuit pas la souffrance car cette expérience, en purifiant l’âme de ses pêchés, peut l’aider à s’élever jusqu’à lui. Ce message, pour celui qui aspire à vivre par l’Esprit, reste intemporel. Seule une puissance supérieure permet d’accéder et de demeurer dans la joie et la paix véritables qui libèrent de toute souffrance. Mais celui qui souhaite y accéder doit accepter de se sacrifier ; il doit, comme la Dame dans cette scène, tout abandonner afin de tout recevoir. Alors il demeure dans l’éternel printemps.

L’île du fin’amor

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Le Jardin des délices (détail), J. Bosch, vers 1500 – wikimedia commons (domaine public)

Sur l’île en fleurs, la paix et l’harmonie règnent. La Dame rajeunie et détachée de toute chose, rayonne. Sa suivante et la licorne semblent, de même, touchées par une joie profonde. Tous œuvrent en unité sous l’impulsion du souffle, omniprésent.

Fidèle à l’idéal du fin’amor, ‘’amour – joie – jeunesse’’, la Dame se présente sur une île printanière. Elle ne connaît plus la souffrance. Comme l’explique Jacqueline Kelen dans Amour, invincible amour, l’amour pour les troubadours « s’avère puissance renouvelante et continuelle floraison ». Celui qui en fait l’expérience demeure dans l’éternel printemps, «  une saison intérieure, un jaillissement de joie qui correspond à la fraicheur juvénile du cœur aimant, de l’âme émerveillée ».

Les Béatitudes dans les évangiles de Matthieu et de Luc, nous parlent d’une autre manière de cet état si singulier que seul celui qui s’est élevé jusqu’à Dieu peut connaître. Celui qui est ‘’béni’’ ou ‘’heureux’’ connaît la félicité. Il possède une joie intérieure que rien ni personne ne peut ébranler. N’étant plus en lutte avec lui-même ni avec le monde, il vit dans une paix profonde qui dépasse toute compréhension. De nombreuses sagesses témoignent de cet état d’être. Gandhi dit que cette joie profonde et véritable apparaît lorsque ce que l’on pense, dit et fait sont en harmonie. Les hermétistes parlent pour leur part d’un état originel ou homme et Esprit ne font qu’un ; d’un état retrouvé où corps, âme et esprit renouvelés œuvrent pour ne plus servir que sa seule volonté.

Servir dans une joie profonde

La Dame a mené à terme son initiation. Grande Prêtresse, elle entame une vie nouvelle, dévouée à son seul désir. Elle connaît le bonheur véritable, la joie de servir. Celui qui pratique la Gnose hermétique croit que pour aider le monde à se libérer, il faut d’abord se transformer soi-même. L’homme, pour lui, ne peut par sa seule volonté guérir durablement la souffrance même s’il parvient, par moments, à l’apaiser. C’est pourquoi, sans attendre un paradis lointain, cet alchimiste œuvre à sa transmutation pour parvenir à vivre, ‘’dans ce monde mais plus de ce monde’’. Il sait qu’en étant revenu à l’unité, relié à l’Esprit, il pourra alors servir dans une joie profonde sachant ce qui est vraiment attendu de lui. Dans l’attente d’y parvenir, suivant une voie de développement impersonnel, il aspire à vivre ici et maintenant comme un passant ; ce monde n’étant pour lui qu’un pont qu’il doit traverser sans y établir sa demeure. Voilà le fabuleux message d’espoir qu’apporte la Dame à la licorne. Chacun peut accéder à la libération s’il accepte de s’en remettre à plus grand que lui-même. Parvenant à revenir à sa patrie originelle, devenant une colonne de lumière, il pourra alors agir ici-bas à la libération de tous ceux qui errent encore dans les ténèbres!